L'église de Saint-GRÉGOIRE-DU-VIÈVRE


Seconde partie

Essai d'interprétation du rébus

 

 

I

De la raison pour laquelle on commence un rébus par un cheval


 

Le cheval est un animal hors du commun à cause de sa signification symbolique et aussi de par son rapport avec l'homme. Il est la monture, le véhicule, et son destin est donc inséparable de celui du cavalier. C'est d'ailleurs une des raisons qui font que notre cheval est représenté avec une selle.

Or coursier et cavalier sont intimement unis en ce sens que le cheval instruit l'homme, c'est-à-dire que l'intuition éclaire la raison. C'est pourquoi le cheval est le symbole du passage entre deux mondes, celui d'ici-bas et l'au-delà.

C'est ce que nous montrent les trois traits sur l'image du cheval: un trait derrière l'animal (ici-bas, le CUL, la lune), un trait sur la selle du cheval (le sel alchimique, le liant) où devrait se trouver un cavalier, et une flèche au-dessus de la tête qui indique le mouvement vers l'ouest (vers l'au-delà). Si, de plus, on fait le rapprochement avec le mouvement du soleil qui se déplace d'est en ouest, nous avons la représentation d'Héliogabale (d'Hélios, le soleil, et gabale, le cheval), « le Cheval du Soleil, celui qui porte la science, la Cabale solaire ».

D'ailleurs l'initiation chevaleresque de l'Occident médiéval n'est pas sans analogie avec la symbolique du cheval, monture privilégiée de la quête spirituelle.

Il est donc possible, comme le pensent certains, que cette partie du rébus montre le « chevalier qui abandonne sa monture (les biens matériels), et le laisse aller vers le soleil couchant, comme l'indique la première des trois pierres noires se trouvant au-dessus de lui, et formant une flèche. »

Toutefois, il semble que la raison de la présence du cheval nous est donnée sans équivoque possible par Fulcanelli dans ses Demeures philosophales:

« le latin caballus et le grec caballhz signifient tous deux cheval de somme; or, notre cabale soutient réellement le poids considérable, la somme des connaissances antiques de la chevalerie ou cabalerie médiévale, lourd bagage de vérités ésotériques transmis par elle à tous les âges.

C'était la langue secrète des cabaliers, cavaliers ou chevaliers . Les uns et les autres, afin d'accéder à la plénitude du savoir, enfourchaient métaphoriquement la cavale, véhicule spirituel dont l'image type est le Pégase ailé. Lui seul offrait la possibilité de tout voir et de tout comprendre. [...]

Connaître la cabale, c'est parler la langue de Pégase, la langue du cheval. Employée au moyen âge par les philosophes, les savants, les littérateurs, les diplomates. Chevaliers d'ordre et chevaliers errants, troubadours, trouvères et ménestrels discutaient entre eux dans la langue des dieux, la langue des oiseaux, dite encore gaye-science ou gay-scavoir. »

Cet extrait a servi surtout à nous convaincre qu'en frontispice du rébus, son auteur a donné comme clef un cheval pour expliquer au pèlerin qu'il ne faut pas appréhender superficiellement les images mais les lire en profondeur.

Enfin le chevalier est particulièrement symbolisé par son épée et son éperon. On remarque surtout la taille de ce dernier, en forme de soleil irradiant. Or l'éperon était remis au nouveau chevalier après son initiation (son adoubement).

Le chevalier initié donc, le pèlerin, dans sa quête spirituelle, sa quête du Graal, doit utiliser comme véhicule, comme monture, la cabale pour comprendre le rébus. Il doit lire le texte dans un sens différent.



 

 

II


S'il fallait une preuve de plus pour montrer que le cheval et le cavalier ne font pas partie du rébus mais forment bien une clef, il suffirait d'observer leur position relative par rapport à la suite du rébus: ils sont tous deux situés au-dessous de la ligne de pierres taillées sur lesquelles sont insérées les différentes phrases du rébus. Cette remarque pourra être faite plus tard pour la fleur de lys et la croix noire. Le véritable rébus commence donc à partir de maintenant.

Nous n'émettrons aucun doute sur le « cor rompu » en langage des oiseaux. Mais il est important d'approfondir le symbole du globe surmonté d'une croix.

Que signifie réellement cette image du Monde?

Si l'on se rappelle que l'ordre des Chartreux avait comme emblème une croix sur un globe, alors on peut obtenir un autre indice. Car en 1236, le R.P. Dom Martin composa les armoiries Cartusiennes qui deviendront celles de l'Ordre Général des Chartreux: une croix surmontant un globe. Cet emblème est accompagné de la devise: Crux stat dum volvitur orbis mundo inloncussa superto.

La terre tourne, la Croix demeure

En outre, c'est encore Fulcanelli qui explique sa signification véritable:

« les Anciens ont dépeint symboliquement leur Matière en son premier être sous la figure du Monde, qui contenait en soi les matériaux de notre globe hermétique, ou microcosme, assemblés sans ordre, sans forme, sans rythme ni mesure.

» Notre globe, ce petit monde, reflet et miroir du macrocosme, n'est donc qu'une parcelle du chaos primordial, [...] qu'une suite de circonstances mystérieuses a orienté et dirigé vers le règne minéral. » 1

Le concept de l'athanor, creuset des alchimistes, va nous aider à affiner le symbole:

« Symbole du creuset des transformations physiques, morales ou mystiques, l'athanor des alchimistes est une matrice en forme d'œuf comme le monde lui-même, qui est un œuf gigantesque. »2

« En tant que figure de symétrie par excellence, la sphère est un symbole d'ambivalence, souvent associé à l'androgyne originel, contenant les deux principes opposés. »3

Ces deux principes opposés sont constamment représentés par les carrés noirs et blancs des damiers. Ainsi, puisque la matière à l'origine, la Matera Prima, est corrompue dans l'athanor, il y a manifestation des contraires: le damier de 4 X 4=16.

D'ailleurs, « le damier, ensemble de figures géométriques de couleurs alternées blanc et noir, symbolise les forces contraires qui s'opposent jusque dans la constitution même de l'univers. »4 La formation en carrés est le signe de la bataille qui commence. Le conflit qu'il exprime peut-être celui de la raison contre l'instinct, de l'ordre contre le hasard.

Le carré de 4x4 indique l'accomplissement de la puissance matérielle.

Si, d'autre part, on considère que 16 est le double de 8, à cause du damier suivant et du 8 dans la suite du rébus, il garde pour l'être, ou la matière première de l'alchimiste, une connotation négative qui se retrouve dans le fait que 4 élevé au carré est signe de lourdeur, de matière enfermée dans la matière.


III


Il faut maintenant se servir de la notion du 8, qui prépare au damier de 4 par 2 qui suit, exacte moitié du damier de 16.

Ce damier de huit rappelle la forme du "huit" entre le C et le R.

C8R = c hui(t) r = cuire.

Ce même huit que l'on retrouve bien aussi dans la coction des alchimistes (octo).

C'était évident, notre athanor empli de matière corrompue doit être soumis au feu (
D ) des philosophes. C'est à partir de là que l'on peut affirmer que le rébus a rapport avec l'alchimie, ou un processus initiatique.



 

 

IIII

« Serait-il donc impossible à l'artiste qu'il séparât, dans son petit monde, à l'aide du feu secret et de l'esprit universel, les parties cristallines, lumineuses et pures, des parties denses, ténébreuses et grossières? »

Eugène Canseliet

Le mystère des Cathédrales

Nous sommes donc entrés dans l'Art Royal de l'alchimie, comme nous l'indique maintenant la fleur de lys, seule et excentrée sur un pilier, telle une clef pour ouvrir la porte au Grand Œuvre.

Continuons notre lecture du rébus.

Il apparaît ensuite un damier de 5x4= 20 éléments. C'est l'homme matériel car s'étendant dans les 4 directions de la croix. Son but est de réintégrer le centre de la croix, point d'intersection des deux axes terrestres. C'est la matière prête à être cuite (C8).

Suivons d'abord les recommandations d'un alchimiste, Fulcanelli:

« La matière préparée, n'est qu'une terre fécondée où règne encore quelque confusion; cette terre, il nous faut la mortifier et la décomposer, ce qui revient à séparer le feu de la terre, le subtil de l'épais. »5

Nous voici face à deux concept opposés: le subtil et l'épais.

Ce sont eux qui sont exprimés par le damier suivant où sont réunis dans une seule pierre un damier de 2x5=10 éléments et un damier de 3x7=21 éléments.

Or dans la Bible, 21 est le chiffre de la perfection par excellence (3x7). C'est celui des 21 attributs de la Sagesse.

Le jeu du Tarot montre bien la vertu ultime de ce chiffre qui est celui de sa dernière lame numérotée, nommée Le Monde, et qui désigne l'accomplissement, le but atteint. C'est la partie lumineuse et subtile de la Matière.

Quant à 10, le nombre de la Tetraktys pythagoricienne (1+2+3+4), il souligne le dualisme de l'être par 5x2 où 5 est l'homme. Il est la partie épaisse et manifestée de la matière.

D'ailleurs leurs positions symboliques sont bien respectées dans l'image: le céleste est au dessus du terrestre.

Eugène Canseliet se fait plus précis dans la description du symbole:

« La séparation alchimique est diamétralement contraire à la dissociation des éléments et, plus encore, à leur désintégration qui annihilerait tout espoir qu'ils se réunissent désormais, pour une vie nouvelle et plus glorieuse. Cette opération initiale du Grand Œuvre, en parfait accord avec le premier chapitre de la Genèse, prélude à la création du philosophe, à partir du chaos minéral et microcosmique, au sein duquel les éléments sont confondus. »6

C'est bien ce qui est exprimé car la séparation du damier en 21 et 10 ne montre pas de séparation visuelle des contraires, mais un changement total de signification: une refonte symbolique.



 

 

V

 

Quelques réflexions sur le concept de Centre et d'Axe du Monde et leurs rapports avec le rébus de l'église de Saint-Grégoire-du-Vièvre.

 

Dans l'alchimie comme dans ce qui concerne plus généralement toute initiation, on retrouve les deux concepts de petits et grands mystères (ou Magistères). Ces concepts sont intéressants à plus d'un titre car ils permettent de synthétiser les nombreuses étapes de l'évolution spirituelle d'un être.

Ainsi la résolution des petits mystères (l'œuvre au blanc en alchimie) consiste à atteindre le centre du monde.

Au centre du monde se retrouve la montagne sacrée, c'est là que se rencontrent le Ciel et la Terre (la réunion du subtil et de l'épais). Tout temple est assimilé à une montagne sacrée et est promu ainsi centre.

C'est d'autant plus vrai pour l'église de Saint-Grégoire-du-Vièvre qu'elle se trouve au sommet d'une haute colline (ou plutôt sur le rebord d'un haut plateau) et permet ainsi d'embrasser une vue époustouflante sur une partie de la campagne environnante.

Enfin, le nombre considérable de graffitis de pèlerins sur ses murs ne peut que nous convaincre du rôle initiatique important de cet édifice pourtant si modeste.

D'autre part, le symbole traditionnel de représentation du centre du monde est un point (le centre) entouré d'un cercle (le monde): symbole astrologique du soleil par excellence.


Or ce genre de symbole est profondément gravé sur le mur sud de cette église.

Maintenant, ce centre du monde permet un passage à une dimension supérieure par le biais de l'axe du monde ou Axis Mundi, qui, vu de côté est une colonne verticale tandis que son intersection avec notre monde manifesté est un point central (ceci expliquant la notion de dimension supérieure).

En résumé le centre du monde est le point de rencontre avec Dieu.

Or suivant la façon dont on appréhendera les symboles des nombres 21 et 10 que nous avons rencontrés précédemment, il est possible de confirmer le rôle important de l'église de Saint-Grégoire-du-Vièvre.

Ainsi la 21ème arcane du tarot de Marseille est Le Monde ou la Couronne des Mages, qui exprime la récompense, le couronnement de l'œuvre, l'élévation, le succès, l'illumination.

Il correspond en astrologie à la 10ème maison horoscopique, qui est le Capricorne!

Or en initiation, ce signe qui commence au solstice d'hiver le 21/12 (!) est appelé porte des dieux car il est surtout le symbole d'un cycle nouveau, qui inaugure l'axe capricorne/cancer, symbole en astrologie de l'axe du monde qui passe par le centre du monde7.

Il est la porte vers les grands mystères.

Cette information est primordiale car l'arcane 10 du tarot est la Roue de Fortune où l'on voit une manivelle au centre d'une roue à plusieurs rayons. Cette manivelle est le véritable moteur dynamique du monde (voir aussi le symbole du swastika). Ce pôle est immobile mais il génère la rotation du monde manifesté. Et l'on retrouve là la devise de l'Ordre Chartreux: la terre tourne, la croix demeure. La croix verticale étant l'axe du monde.

La croix horizontale, quant à elle, faisant uniquement partie de notre monde manifesté ne peut nous donner accès qu'au centre d'intersection de ses branches: le centre du monde .8

Voilà le Signe que nos églises sont des centres spirituels et que les auteurs de ces graffitis sont des initiés.

 

 

 

 

VI

« Il est facile de reconnaître ici la première phase du second œuvre, [...] c'est le début, actif et doux, du feu de roue

Fulcanelli
Le mystère des Cathédrales

Dans la troisième partie du rébus apparaît un nouveau signe: le triangle.

Nous avons là 6 triangles blancs et 2 carrés blancs. Cette dissymétrie est fondamentale. Elle marque la différence au niveau de la lecture hermétique.

En effet le noir ne sert plus que de fond pour faire ressortir les figures blanches. C'est du moins la seule façon d'expliquer logiquement ces signes.

Ainsi, le triangle est alchimiquement le symbole du feu alors que le carré représente la terre. Nous aurions alors la terre sur le feu, l'athanor des alchimistes.

Mais c'est extrapoler bien rapidement les symboles. Analysons aussi les nombres.

Le nombre 6 est une source d'ambivalences: il réunit en effet deux complexes d'activité ternaire (3x2). Il peut pencher vers le bien, mais aussi vers le mal, vers l'union à Dieu, mais aussi vers la révolte (il est le nombre des dons réciproques et des antagonismes, celui du destin mystique). Bref, le nombre 6 est celui de l'épreuve entre le bien et le mal.

6, enfin, est le nombre de la création, le nombre médiateur entre le principe et la manifestation.

On ne sera donc pas surpris de le voir associé au symbole triangulaire (vers le haut) du feu de l'Alchimie, feu qui est censé transformer la terre impure en matière céleste.

Quant aux deux carrés blancs, le nombre 2 est symbole bien sûr d'opposition, de conflit, d'ambivalence.

Mais la division est le principe de la multiplication, aussi bien que de la synthèse.

Le feu exacerbe donc cette dualité, « séparant le fixe du subtil ».

Pourtant ne confondons pas le feu de cheminée avec le feu des alchimistes et écoutons Fulcanelli:

« Si la chaleur naît du mouvement, comme on le prétend, qui donc demanderons nous, génère et entretient le mouvement, producteur du feu, sinon le feu lui-même?

« Pour nous, le feu ne saurait être le résultat ou l'effet de la combustion, mais sa cause véritable. »9

Or il s'agit de la description que nous avons donnée du centre de la Roue de Fortune, ce centre du monde par lequel passe l'Axis Mundi, s'élevant vers le divin.

« Or, la qualité spirituelle du feu ne nous est-elle pas révélée dans la flamme? Pourquoi celle-ci tend-elle sans cesse à s'élever comme un véritable esprit? » 10

Nous nous permettrons de rappeler ici la figure de l'alchimiste Basile Valentin (1613) comme un résumé de l'étape de l'œuvre:


On retrouve l'androgyne (médiateur entre l'équerre et le compas) cuit par le feu du dragon lui même sur le symbole du triangle (entre autres) dans lequel on voit bien le centre de la croix, moteur invisible de l'ensemble. Le tout dans un œuf symbolisant l'athanor.

Les philosophes ont d'ailleurs donné le nom de Rebis à la matière de l'œuvre parvenue à un état double (nos deux carrés blancs).

« Il est facile de reconnaître ici la première phase du second Œuvre, alors que le Rebis hermétique [de RES BIS, double chose], enfermé au centre de l'Athanor, souffre la dislocation de ses parties et tend à se mortifier, c'est le début, actif et doux, du feu de roue. »11



 

VII


Le damier suivant est très obscur quant à sa signification: nous avons toujours des triangles supportant des carrés mais les triangles, au nombre de 4, sont désordonnés et les carrés sont au nombre de 5 (et non pas 11 car on ne considère plus les carrés noirs désormais, ils servent uniquement de fond).

Les 4 triangles étant différents, ils nous inspirent à cette étape de l'œuvre les quatre degrés de la coction.12

Le 5 exprimé par les carrés blancs, c'est la Quinte-essence, ou éther.

On dit aussi du nombre 5, par analogie, qu'il est le nombre de l'homme car si le carré est le symbole de la terre, l'homme est comme une croix dans ce monde, ou ce monde est pour lui comme une croix.

En effet, la croix se divise en 4 demi-branches + 1 centre qui n'existe que par la manifestation des 4 directions. C'est le retour à l'unité divine.

Or l'étape suivante du rébus est une croix de pierres noires, qui symbolise la manifestation de l'homme mais surtout sa mort (initiatique). C'est le corps beau des alchimistes.



« Il exprime dans la cuisson du Rebis philosophal la première apparence de la décomposition consécutive à la mictions parfaite des matières de l'Œuf. »13

C'est l'élimination de toutes les impuretés, de tous ces carrés noirs!

D'ailleurs cet œuvre au noir est bien représenté par un gros rectangle rempli de pierres noires, ce qui est l'unique fois dans la longue ligne du rébus.

Quant à nos quatre feux, ils apparaissent comme le signe de la potentialité, attendant que s'opère la manifestation (la fixation), qui vient avec le 5.

Enfin, 5 carrés blancs + 6 carrés noirs = 11, symbole de la lutte intérieure, qui tire son symbolisme de la conjonction des nombres 5 et 6, qui sont le microcosme et le macrocosme, ou le Ciel et la Terre.

 

 

VIII


« Le résultat des deux Magistères, petit et grand: Médecine blanche et Pierre rouge, dont la fleur de lys consacre la vérité absolue. »

Fulcanelli

Cette lutte intérieure que nous avons voulu mettre en valeur par le chiffre 11 est symbolisée par les duels entre animaux.

          

Certains ont cru affirmer qu'il s'agissait de chevaux.14 Nous nous voyons obligés de réfuter cet argument à cause de la queue spiralée du premier animal. On dirait plutôt un chien ou un loup.

Ce symbolisme du dévorateur est celui de la gueule, image initiatique et archétypale, liée au phénomène de l'alternance jour-nuit, mort-vie.

On rappellera que dans le langage héraldique, de gueules veut dire rouge.

Or ce rouge est la couleur du feu central de l'homme et de la terre, celui du ventre et de l'athanor des alchimistes où, par l'œuvre au rouge, s'opère la digestion, le mûrissement, la génération ou régénération de l'homme ou de l'œuvre.

« Ce rouge n'est licitement visible qu'au cours de la mort initiatique. »15

Plus significatif encore: pour les alchimistes et les philosophes, le chien dévoré par le loup représente la purification de l'or par l'antimoine, avant-dernière étape du grand œuvre.

Or « que sont ici le chien et le loup, sinon les deux aspects du symbole en question, qui trouve sa résolution en même temps que sa plus haute signification: chien et loup à la fois, le sage - ou le saint - se purifie en se dévorant, c'est-à-dire en se sacrifiant en lui-même, pour accéder enfin à l'étape ultime de sa conquête spirituelle. »16 : la croix où le Christ se sacrifia. Christ symbole du soleil et donc de l'or des philosophes.

On pourrait, accessoirement, citer la Fête du Loup Vert, réjouissance populaire dont l'usage s'est longtemps maintenu à Jumièges, et qui se célébrait le 24 juin, jour de l'exaltation solaire, en l'honneur de Sainte-Austreberthe. Or Jumièges n'est éloigné de Saint-Grégoire que d'une quarantaine de kilomètres...

« Une légende raconte que la sainte blanchissait le linge de la célèbre abbaye, où un âne la transportait. Un jour le loup étrangla l'âne. Sainte-Austreberthe condamna le coupable à faire le service de sa victime, et le loup s'en acquitta à merveille jusqu'à sa mort. »17

Pourquoi la couleur verte? La légende ne le dit pas mais alchimiquement « le loup devint vert en étranglant et en dévorant l'âne. »18

Cela est dû au fait que par la cabale le vert résulte du rouge. En effet le mot sinople (terme héraldique) vient du bas-latin sinopis qui désigne d'abord la terre rouge de Sinope, avant de prendre, au XIVème siècle, le sens de vert pour des raisons inexpliquées et qui signifiait à la fois rouge et vert!

La vertu secrète du vert vient de ce qu'il contient le rouge. C'est le sang du Lion Vert des alchimistes, le sang du dragon (vert comme un reptile) qui est l'or des philosophes.

C'est aussi le Graal, vase d'émeraude, donc un verre vert, qui contient le sang du Dieu incarné.

 

 

 

 

IX

 

« C'est le combat des deux natures, les matériaux secrets dont la destruction réciproque ouvre la première porte de l'Œuvre. Ces corps sont les deux dragons de Nicolas Flamel »

Fulcanelli

Mais revenons à notre combat. D'un point de vue intérieur, la création progresse, symboliquement, dans chaque conflit dépassé.

Or les deux scènes du loup et du chien (ou de l'âne, qu'importe l'image, seul compte le sens) encadrent une pierre où 6 triangles (le feu créateur) brûlent une barre blanche horizontale.

Cette barre blanche, débarrassée des impuretés après l'étape Noire, est horizontale: c'est la position du rampant, de celui qui n'est pas élevé spirituellement.

C'est la barre horizontale de la croix.

C'est l'œuvre au blanc.

Le résultat du combat, de l'œuvre au rouge, c'est la résolution des grands mystères: c'est l'élévation suivant l'axe du monde, donc l'accession à une dimension supérieure qui ne peut être physique (le chien dans la deuxième scène du combat, est ainsi retourné).

C'est ce que montre justement l'image suivante:

Un ensemble de trois barres verticales blanches (sept barres au total), signes de l'ascension vers Dieu: c'est l'avènement de l'homme ou du grand œuvre.

Et 3 est la conjonction de 1 et de 2, « produit » en ce cas de l'union du Ciel et de la Terre.

C'est l'achèvement de la manifestation: l'Homme, fils du Ciel et de la Terre, complète la Grande Triade. C'est d'ailleurs, pour les chrétiens, la perfection de l'unité divine: Dieu est un en trois personnes.

En outre le 3 équivaut à la rivalité (dualité) surmontée; il exprime un mystère de dépassement et de synthèse.

Enfin, et la boucle se ferme, en héraldique la couleur rouge ou de gueules est schématisée par des barres verticales.

 

 

 

 

X

« Disons, au préalable, que le terme de pierre philosophale signifie, d'après la langue sacrée, pierre qui porte le signe du soleil

Fulcanelli
Les Demeures Philosophales

Quel est le résultat de l'œuvre au rouge?

Le Christ ( la croix) ressuscité (blanche).

C'est le soleil, l'or des philosophes. Son symbole est le cercle avec un point au centre, signe que l'on rencontre partout sur nos églises, gravés par des pèlerins ou des compagnons.

Mais il ne faudrait pas croire que notre analyse se termine si facilement... car il reste une ultime étape: celle de l'utilisation de la pierre pour transformer le plomb en or!

 

 


XI

« On pourrait, dans ce cas, obtenir de l'or ou de l'argent, voire même un métal inconnu, et rien de plus. C'est là ce qu'ont toujours fait les alchimistes, parce qu'ils ignoraient l'universalité et l'essence de l'agent qu'ils recherchaient. »

Fulcanelli
Les Demeures Philosophales

 

Il reste deux images à notre rébus, et il ne faudrait pas les oublier car s'arrêter à la croix blanche serait avoir œuvré si longtemps pour bien peu de résultats...

Voici donc un enchevêtrement de 5 pierres blanches et 6 pierres noires formant des lignes obliques.

Nous n'avons d'autre solution que d'en appeler encore à l'héraldique, la langue des chevaliers et des nobles, fin logique à la cabale du début.

Les lignes obliques penchées vers la droite représentent le pourpre. (vers la gauche ç'aurait été le vert/sinople).

« Couleur de la tempérance, fait d'une égale proportion de rouge et de bleu, de lucidité et d'action réfléchie, d'équilibre entre le ciel et la terre, les sens et l'esprit, la passion et l'intelligence, l'amour et la sagesse. » 19

L'arcane XIV du tarot, nommé la Tempérance, représente un ange qui tient dans ses deux mains deux vases, l'un rouge, l'autre bleu, entre lesquels s'échange un fluide incolore, l'eau vitale.

Van Rijnberk commente cette lame en ces termes: « On la considère en général comme le symbole de l'Alchimie. »

Le violet est donc la couleur du secret: derrière lui va s'accomplir l'invisible mystère de la transformation.

Voilà pourquoi sur les monuments symboliques du Moyen-Age, Jésus-Christ porte la robe violette pendant la Passion.

Entre Terre et Ciel, entre rouge et bleu, le violet a donc logiquement à sa droite, à l'opposé du rouge avec les barres verticales, 4 barres horizontales blanches et noires. C'est en héraldique la couleur azur, c'est-à-dire bleue. Le Ciel.

Le bleu est la plus profonde et la plus immatérielle des couleurs. Couleur mariale comme le blanc, il exprime le détachement des valeurs de ce monde et l'envoi de l'âme libérée vers Dieu.

C'est là l'ultime but du Grand Œuvre: la transformation de l'homme impur en être de Lumière... et du plomb en Or...

 

 

FIN


 

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Notes

1 - Fulcanelli, Les Demeures Philosophales, t. II, p. 274, Ed. Pauvert, 1979.
2 - J-P Bollen, Promenade dans le Vièvre normand, p. 87, chez l'auteur.
3 - Les Demeures Philosophales, t. II, p. 267.
4 - Les Demeures Philosophales, t. I, p. 242.
5 - Chevalier et Gheerbrant, Dictionnaire des Symboles, Robert Laffont, 1982.
6 - Idem.
7 - Dictionnaire des Symboles.
8 - Les Demeures Philosophales, t. I, p. 285.
9 - Les Demeures Philosophales, t. I, p. 55.
10 - Lire Le symbolisme de la Croix de René Guénon, Ed. Guy Trédaniel
11 - Idem.
12 - Les Demeures Philosophales, t. II, p. 213.
13 - Les Demeures Philosophales, t. II, p. 214.
14 - Le Mystère des Cathédrales, p. 128.
15 - Ce sont les imbibitions, sublimations, cohobations et digestions de la matières qui se font d'elles-mêmes sous le seul régime du feu.
16 - Le Mystère des Cathédrales, p. 101.
17 - J-P Bollen, Promenade dans le Vièvre normand.
18 - Dictionnaire des Symboles.
19 - Idem.
20 - Les Demeures Philosophales, t. II, p. 316.
21 - Les Demeures Philosophales, t. II, p. 316.
22 - Dictionnaire des Symboles.