Parcours Initiatique entre trois églises de l'EURE



 

Départ: le village du Theillement

 

Situé dans la forêt du Roumois, ce petit village de 300 habitants a traversé les siècles sans, comme de nombreux villages restés petits, réellement laisser de trace dans l'histoire. Cela se traduit par le fait qu'aucune construction importante ne semble avoir été établie: pas de château fort, ni de trace de villa romaine. En fait, seule son église témoigne d'un passé fort ancien puisque des vestiges encore pleinement visibles en ses murs laissent encore admirer son origine romane.

Alors que nous recherchions des traces de vieilles pierres en ce village, nous avons eu vent d'une chapelle maintenant disparue, consacrée à Sainte-Anne en 1641. Probablement construite lors de l'engouement pour la sainte femme après ses apparitions à un berger à Sainte-Anne-d'Auray, une légende tenace a encore laissé ses traces dans les archives du village: on raconte ainsi que les habitants de tous les alentours effectuaient un pèlerinage à la chapelle Sainte-Anne avec leurs nourrissons car elle avait le don miraculeux de leur apprendre à marcher.

Or il devait s'agir d'un culte à une statue comme toujours dans ces cas de miracles.

La chapelle a disparue (remplacée après la Deuxième Guerre Mondiale par une porcherie) mais la statue est toujours présente et exposée en l'église du Theillement.

Classée au début du siècle, cette statue représente Sainte-Anne expliquant les saintes écritures à la petite Marie, sa fille, avant sa présentation au Temple.

De représentation iconographique somme toute très courante, notre statue se démarque des autres par le fait qu'elle est très probablement la plus ancienne connue en Normandie. Toute en pierre polychrome, elle date de la fin du XIVème siècle. Les vêtements, les visages simplifiés, les couleurs, tout dénote l'extrême ancienneté de la statue miraculeuse.

 

Avant de clore ce chapître, nous ferons remarquer un graffiti de pèlerin sur une des anciennes pierres de l'église du Theillement:

Il s'agit d'un graffiti déjà cité par René Guénon au sujet d'autres monuments dans un de ses ouvrages comme étant un signe initiatique de haut niveau que l'on retrouve rarement et qui représente, à son avis, une triple enceinte traversée par un chemin. Très certainement symbole d'une évolution spirituelle, ce graffiti nous est le témoignage du pèlerin qui dans son parcours terrestre subit une évolution de son état spirituel, lui faisant appréhender les êtres et les choses d'une manière différente.

Gardons bien à l'esprit ces trois enceintes qui sont comme trois étapes. L'une extérieure, l'écorce, l'autre médiane, intermédiaire entre le matériel et le spirituel, et la troisième, au centre du monde, pur retour au divin état spirituel.



1ère étape: le village de Berville-en-Roumois


Village limitrophe du Theillement, Berville-en-Roumois au contraire de son humble commune voisine a conservé jusque dans son nom les traces d'un passé certainement illustre: on a en effet retrouvé au centre du village, sous l'église, des tuiles romaines et la tradition fait état d'un temple dédié à Mercure à l'emplacement de l'église actuelle ainsi que d'une villa romaine.

Un tel passé n'est pas rare dans cette région et pourtant nous n'avons pu retrouver aucune légende intéressante sur ce village excepté le fait que l'église de Berville-en-Roumois est connue pour un rite séculaire étrange: à une certaine date de juillet, les habitants du village en fête tournaient trois fois autour de l'église dans le sens des aiguilles d'une montre.

Si l'on pénètre dans l'église on ne peut s'empêcher d'admirer une superbe statue de Saint-Christophe toute en pierre.

Il est très rare de nos jours de trouver une statue de Saint-Christophe dans une église. En effet, depuis que le saint a été renié par l'Eglise (elle ne reconnait pas qu'il a existé), son image a été banie des églises de France.

Ce saint fut pourtant fort populaire au Moyen-Age puisque des témoignages rapportent que lors du départ d'un pèlerin vers Saint-Jacques-de-Compostelle, on le bénissait dans l'église de son départ et on le plaçait sous la protection de Saint-Christophe, patron des voyageurs (comme de nos jours celui des automobilistes).

Cela provient bien évidemment de sa légende dans laquelle le géant avait voué sa vie à aider les voyageurs à traverser un gué dangeureux en les portant sur son dos. Et un jour il porta le Christ qui depuis lui a donné son nom de Christophe: du grec christophoros, le porteur du Christ.

Sans toutefois entrer dans des détails qui nous emmèneraient trop loin, il est très remarquable de noter que les paiens révéraient un certain Hermès comme protecteur des voyageurs. Il avait des ailes aux pieds d'ailleurs, signe que son voyage n'était pas seulement terrestre mais aussi "vers le Ciel" donc spirituel.

Hermès est aussi la figure emblématique des adeptes alchimistes qui utilisent aussi à foison le symbolisme du pèlerinage vers Saint-Jacques de Compostelle pour imager ou coder les préparations du Grand-Oeuvre.

Et il est aussi remarquable de noter qu'Hermès était aussi appelé Mercure chez les romains... comme l'ancien temple sur lequel se trouve l'église de Berville en Roumois. Y aurait-il eu des résurgences qu'il a fallu combattre en utilisant un saint équivalent pour ramener la population vers le christianisme, dans les temps très anciens? La question mérite d'être posée.

Si l'on se souvient de ce que nous avons dit au sujet de la protection des pèlerins de Compostelle par Saint-Christophe, nous ne serons pas étonnés de constater la présence d'une statue de Saint-Jacques en pèlerin juste en face de celle de Saint-Christophe dans l'église.

Il s'agit ici d'une statue en pierre de la même époque que celle de Christophe, c'est-à-dire du XVIème siècle, qui a la particularité de nous présenter un Saint-Jacques assis, avec ses attributs de pèlerin: le chapeau à coquille, symbole d'élection (le chapeau ayant ici le même sens que la couronne) et le bourdon, ou bâton de pèlerin.

La grande originalité est par contre de constater la présence d'un enfant debout à ses côtés. De plus le saint nous présente dans sa main droite un livre fermé. Quel symbolisme ici présent! Le livre fermé est celui des secrets ésotériques. Il est aussi pour nous un appel à la réflexion: le saint nous montre qu'il faut chercher quelque chose de non évident, tirer une leçon, découvrir un sens caché.

Des sens cachés il y en a. Commençons par la correspondance iconographique entre le Saint-Christophe debout et le Saint-Jacques assis: tous les deux ont un bâton, tous les deux sont accompagnés d'un petit enfant, tous les deux sont liés au voyage, tous les deux ont une barbe, symbole de sagesse.

Si l'on regarde les choses de cette façon, nous pouvons ainsi en déduire que le petit enfant aux côtés de Saint-Jacques est le pèlerin (le retour a l'état d'enfant est prôné dans la Bible comme un signe de sagesse et d'humilité).

Le bâton est un signe de verticalité. Il s'agit d'un Axe du monde, c'est-à-dire d'un lien, d'un canal entre la Terre et le Ciel. Saint-Jacques tenant le bâton est donc le médiateur entre le petit enfant et Dieu. De même pour Saint-Christophe puisqu'il élève le petit enfant sur ses épaules en se tenant sur son bâton.

Premier sens ésotérique évident donc, initié dès la vue du symbole du livre fermé. Notre but étant d'ouvrir pleinement le livre, nous ne pourrons nous empêcher de présenter ici le vitrail voisin de la statue de Saint-Jacques.

On y voit ainsi Saint-Jacques représenté avec le livre ouvert, ouvert mais toujours illisible, à par la première lettre: A. A comme alpha, le départ. C'est très certainement historiquement le vitrail commémorant le départ vers Compostelle d'un ancien seigneur ou noble du village.

Daté de 1877, ce vitrail de facture somme toute récente nous est un livre à décrypter. Ainsi de l'écusson au bas du vitrail: il s'agit de deux clefs s'entrecroisant, symboles des clefs du Paradis détenues par l'apôtre Pierre.

Une inscription pratiquement illisible est aussi sur le socle de la statue de Saint-Jacques. Sur celle-ci on peut lire "en l'an 16.., moi Pierre ... ait donné cette ymasge.

Intéressant, car nous retrouvons le prénom Pierre sur la statue et aussi sur le vitrail par le biais de l'écusson.

Ainsi qu'une date de seize cents et quelques, correspondant à l'époque de l'établissement de la chapelle Sainte-Anne du Theillement...

Voici donc où nous voulions en venir: comparez donc les statues de Sainte-Anne et de Saint-Jacques: elles sont iconographiquement identiques. Les deux personnages illustres sont assis en majesté, ils ont tous deux un enfant à leur côté, ils ont tous deux un livre, ouvert pour Sainte-Anne, fermé pour Saint-Jacques.

Et surtout ils ont tous deux une légende se rapportant à la marche: Sainte-Anne apprend aux enfants à marcher "spirituellement" (première étape du labyrinthe, première enceinte à franchir, et pour l'enfant passage de l'état horizontal à quatre pattes à l'état vertical debout), Saint-Jacques guide l'enfant le long de l'axe vertical vers Dieu.

La dernière étape, on s'en doute, ne sera pas représentée puisqu'elle correspond à l'état de Grâce, de communion en la divinité qui sera propre à chacun selon son expérience. Cette dernière étape peut être appréhendée par l'arrivée à Compostelle au terme d'une marche éreintante de plusieurs mois. Plusieurs mois de transformation intérieure.

Nous avons donc fourni là une signification à la légende miraculeuse de Sainte-Anne du Theillement qui, sous prétexte d'apprendre à marcher aux nourrissons, entraînait les parents à effectuer un pèlerinage spirituel malgré eux. Chaque personne accompagnant le nourrisson dans son voyage devient donc le petit enfant que l'on voit au côté de Saint-Jacques.

Nous avons trouvé intéressant de présenter ce petit itinéraire ici car il démontre la richesse insoupçonnée de nos églises, richesse dont le symbolisme totalement oublié est loin d'avoir disparu. Il est simplement invisible aux yeux du commun des gens et n'attend qu'à être découvert. Mais quel enchainement de coïncidences pour en arriver à redécouvrir ces quelques miettes d'un passé immensément riche en symbolisme!



2ème étape: le village de Bosc-Regnoult


Ici non plus pas de construction ni de personnage illustre, juste une église considérée comme la plus ancienne du Roumois (XIème siècle) avec des particularités de maçonnerie comme une tête sculptée sortant du mur sud.

Enigme donc que cette tête aux traits incertains, vestige sans doute au symbolisme si évident que nous l'avons oublié. Indiquerait-elle un direction (celle de Berville-en-Roumois au demeurant) pour les pèlerins qui, à l'époque, n'avaient pas d'autres moyens pour chercher leur chemin? C'est tout à fait probable, beaucoup plus que l'hypothèse du maçon faisant une facétie...

Le village de Bosc-Regnoult est réputé dans toute l'Eure pour ses feux de la Saint-Jean, le jour de l'été, reliquats des traditions paiennes où l'on dansait autour de grands feux pour célébrer (mais ne serait-ce pas plutôt exorciser) le soleil en train de mourir jusqu'à sa renaissance six mois plus tard à Noel. L'église de Bosc-Regnoult est d'ailleurs sous le patronnage d'un saint très peu courant puisqu'il s'agit de Saint-Clair, saint qui fut décapité et dont la tête au contact du sol a fait naitre une source qui redonnait la vue aux aveugles.

Nous ne saurons trop insister sur le symbolisme intiatique très fort du Saint-Clair puisqu'il ouvre symboliquement les yeux, permettant ainsi de lire le livre fermé des représentations iconographiques.

D'ailleurs nous ne savons pas trop s'il y a un rapport évident avec nos sujets précemment exposés mais il y a dans l'église de Bosc-Regnoult une statue de Saint-Jacques le Majeur avec un livre ouvert.

Toute en pierre, datée du XIVème siècle, cette statue classée nous montre un Saint-Jacques avec tous les attributs traditionnels comme le chapeau à coquille et le bourdon du pèlerin.

Au contraire de nos statues assises, ce Saint-Jacques là est debout, comme son bâton à la verticale, en train de lire le livre ouvert, symbole de l'initié. Nous avons donc là un homme accompli, pèlerin ayant terminé son voyage (sa légende personnelle dirait Paulo Coelho). C'est bien sûr une façon d'interpréter les faits qui nous arrange bien et c'est pourquoi nous avons mis Bosc-Regnoult en aboutissement du voyage pour l'unité du symbolisme.

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Theillement.zip (850 Ko) - 21 mai 2001

 

Documents sur Berville-en-Roumois récoltés aux archives de l'Eure,

ainsi qu'au travers de discussions avec les habitants de villages

 

Berville.zip (1.1 Mo) - 18 mai 2001